Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Problèmes philosophiques posés par le génie génétique

Le problème épistémologique. Le biologisme ambiant, comme le neuroscientisme, commet une erreur méthodologique grave du fait de son intoxication par les modèles numériques qu'il utilise par analogie abusive.

 

La vie et l'esprit ne sont jamais réductible au schéma "ordinateur" c'est-à-dire à la production d'un résultat précis et prévisible par l'application d'un programme (en l'occurrence l'ADN).

Ce schéma est radicalement faux et les organismes vivants ne fonctionnent absolument pas comme des machines programmatiques.

 

Prenons une métaphore …

Pour construire une maison, il faut des briques et il faut un plan (le programme) : si les briques changent (en taille, en texture, en solidité, en forme, etc …) et si l'on applique le même programme, la maison risque bien d'être très différente en taille, en couleur, en solidité et en forme. C'est ce schéma programmatique qu'applique le génie génétique.

 

Mais le hic est que pour construire un organisme vivant, il faut des cellules (les "briques" du vivant) mais qu'il n'y a pas de plan. Un organisme vivant n'est pas un  assemblage de cellules, mais le résultat d'un processus d'émergence. Un arbre ou un embryon "poussent" de l'intérieur, à partir de leur "graine", et ne sont pas "fabriqués" de l'extérieur : cet arbre ou cet embryon résultent d'un processus dont la "logique" n'est pas inscrite dans l'ADN, mais se propage au travers de la mémoire phylétique de l'espèce concernée.

 

Des œufs de tisserins couvés et élevés en laboratoire, totalement coupés de leurs parents et de la Nature, donneront des tisserins adultes capables de construire leurs extraordinaires nids sans jamais en avoir appris quoique ce soit. L'instinct dira-t-on … Mais l'instinct, disait Jean Rostand, n'est que la poubelle de nos ignorances. Les tisserins, sans avoir rien appris, construisent leurs nids complexes parce que cette construction procède de la mémoire phylétique de leur espèce. L'ADN n'a absolument rien à voir là-dedans.

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L'ADN n'est pas le "plan" de l'organisme. L'ADN n'est pas le support de la logique processuelle qui élabore l'organisme.

Il est, par exemple, totalement faux de dire que tel gène "correspond" à tel organe ou à telle fonction vitale, etc …

Comme il est totalement faux de prétendre que telle zone neuronale du cerveau "correspond" à telle fonction mentale, etc … Ce n'est pas le cerveau qui pense, mais la totalité du corps dont le cerveau n'est que le centre de régulation (le thermostat n'est pas la chaudière !).

 

L'ADN n'est que le programme de fabrication des cellules (des "briques"). Bien sûr, comme on l'a vu dans la métaphore de la maison, si les briques sont transformées, la conséquence en sera que la construction sera différente. Mais ces différences résultantes ne sont pas programmables car elle ne relèvent pas de l'ADN mais bien de la logique processuelle qui est étrangère à l'ADN et qui relève de la mémoire phylétique de l'espèce vivante concernée. En somme et caricaturalement, la division cellulaire pilotée par l'ADN produit la viande, mais ne produit pas l'animal.

 

Le problème éthique.

 

Cela étant posé, le génie génétique modifie l'organisme en modifiant le programme de fabrication de ses briques élémentaires. Le problème éthique nait du fait que la corrélation entre la modification du programme cellulaire, d'une part, et son impact indirect et lointain sur la morphologie ou la santé de l'animal, d'autre part, est extrêmement faible. Il n'y a, entre ces deux pôles, aucune corrélation directe, prévisible et programmatique.

En changeant la forme des briques, on changera, évidemment, les caractéristiques de la maison, mais la relation entre ces deux changements n'est pas du tout mécanique, déterministe et prévisible.

Autrement dit : on joue aux apprentis-sorciers.

 

Deux problèmes éthiques ressortissent de cela.

 

  • Premier problème éthique … A-t-on le droit de jouer ainsi aux apprentis-sorciers avec des animaux vivants (et plus encore avec des êtres humains) ? Le respect des lois de la Vie ne prime-t-il pas les fantasmes humains de "progrès", de "productivité" ou de "performance" ? Les hommes ont-ils le droit de prétendre "améliorer" en quelques décennies ce que la Nature a élaboré patiemment, par essais et erreurs, en des milliards d'années ? N'est-il pas dangereusement orgueilleux de croire l'intelligence humaine supérieure à l'Intelligence cosmique ? Personnellement, je pense deux choses à ce sujet :
    • Comme Gabor, je pense que tout ce qui est techniquement possible, que cela plaise ou non, l'homme le fera … y compris des manipulations génétiques hasardeuses. Inutile donc de pleurnicher ; ce qui n'empêche nullement l'application indispensable d'un "vrai" principe de précaution très différent des stupides lois actuelles.
    • Il est éthiquement indispensable d'imposer un "vrai" respect de l'animal dont la souffrance est intolérable ; il est clair que le génie génétique ne peut, en aucun cas, dériver en expériences du Dr. SS Josef Mengele !
  • Second problème éthique … Par essence, toute modification génétique, naturelle ou artificielle, est destinée à se propager par transmission sexuelle. Cette propagation non contrôlée pourrait avoir des conséquences dramatiques (comme on l'a connu, par exemple, avec l'idiotisme dans les Alpes ou dans les élevages de saumons en Scandinavie). Lâcher dans la Nature des espèces animales ou végétales (voire humaines) fabriquées artificiellement et porteuses de tares graves, est une perspective terrifiante. Il convient donc que des spécimens génétiquement modifiés restent strictement confinés, le temps de mesurer, avec sérieux et rigueur, les risques éventuels liés à leur prolifération en milieu naturel. Les équilibres des écosystèmes étant de plus en plus fragiles et mis en danger, par exemple, par les dérèglements climatiques, il doit être exclu d'en aggraver les fragilités en y libérant des variétés nocives, animales ou végétales.

Marc HALEVY 5/12/2019