Tisserand de la compréhension du devenir
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La Trinité selon Bertrand Vergely

Dans "La foi ou la nostalgie de l'admirable", fidèle à la christologie mystique orthodoxe des Pères grecs, le philosophe français Bertrand Vergely réinterprète la Trinité comme ternaire en tant qu'indispensable préalable à toute possibilité de cheminement intérieur et d'accomplissement spirituel.

Le Père y est la Source absolue et transcendante de tout ce qui existe : il est l'éternel créateur dont tout émane et participe.

Le Fils y devient l'Incarnation c'est-à-dire la manifestation du Père par immanence dans tout ce qui existe, y compris chaque homme : le Christ, en ce sens, est l'expression de "l'homme intérieur", c'est-à-dire le vis-à-vis divin et profond de cet homme extérieur, superficiel et mondain qui doit mourir sacrifié pour que ressuscite l'homme divinisé ("Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu").

Enfin, l'Esprit est l'indispensable moteur du Devenir qui préside à la convergence et à la communion fusionnelle entre le Père et le Fils, entre transcendance et immanence, dans l'unité absolue et indivise du Un dont les trois "personnes" (au sens étymologique de "masque théâtral par où sonne la voix") ne sont que des hypostases.

On comprend vite que, hors le vocabulaire chrétien utilisé, n'importe quel mystique de n'importe quelle tradition pourra se reconnaître dans cette approche ternaire. La Trimurti indienne en est, probablement l'expression la plus profonde et ancienne. Par contre, cette expression trinitaire est totalement absente de l'Islam qui, dès lors, se condamne au statisme rigide de sa seule révélation littérale. De même, le Protestantisme a largement abandonné la centralité de l'approche trinitaire pour se scléroser en moralisme rigide et déspiritualisé. Le Catholicisme, lui, a conservé la Trinité, mais, en ajoutant le fameux filioque qui fait participer l'Esprit également du Fils, il coupe les ailes à toute dynamique mystique et herméneutique en transformant la relation dynamique triangulaire en relation hiérarchique figée.

Le cas du Judaïsme est plus difficile car, dans la lettre, ou bien l'on ne voit aucune structure ternaire (le rabbinisme littéral), ou bien l'on en discerne de nombreuses (le kabbalisme herméneutique). Dans ce cas, on trouvera, par exemple, les triades YHWH/Torah/Israël ou Eyn-Sof/YHWH/Shékinah ou YHWH/Elohim/Torah, etc … la tradition séphirotique distinguera un ternaire mystique Eyn/Eyn-Sof/Aor-Eyn-Sof, et trois ternaires émanés : Kétèr/Binah/'Hokhmah, Guébourah/'Héssèd/Tiphérèt, 'Hod/Nétza'h/Yésod, qui, in fine, convergent vers Malkhout, symbole du monde réel sacralisé. Un autre ternaire séphirotique, synthétique celui-là, s'incarne en Eyn-Sof (unité), Kétèr (transcendance) et Malkhout (immanence).

Marc Halévy, le 9 Décembre 2010