Tisserand de la compréhension du devenir
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Sélection génétique

Le thème du jour selon les messages reçus : "Sélection animale, donc usage de la connaissance du génome, variabilité/biodiversité, nouvelles races" ou, encore "La sélection génétique des animaux : quels sont les intérêts pour les animaux et la société ? Les risques ?"

La sélection artificielle des espèces animales par l'homme à son profit, ne fait que suivre la logique de la sélection naturelle et darwinienne des espèces par la Nature au profit de la Vie et de ses développements et proliférations.

Le problème des sélections artificielles vient du fait que les actions humaines sont moins superficielles, plus nombreuses, plus profondes, plus amplifiées que celle de la Nature qui est, sur le long terme, plutôt placide et inerte. Cela induit une conséquence majeure : quand la Nature se trompe ou fait une bêtise, c'est le plus souvent anodin, insignifiant et inaperçu … mais quand l'humain fait une gaffe, elle est le plus souvent majeure et catastrophique du simple fait des puissances d'amplification de ses techniques.

 

La Nature a le temps et elle peut faire évoluer les espèces tranquillement, sur des centaines de millions d'années. Ce n'est pas le cas de l'humain, éternel excité de la Terre, qui veut profiter quasi immédiatement des fruits de ses inspirations, de ses idées et de son travail.

C'est donc cette précipitation humaine qui est le grand danger … car, derrière elle, se cachent des "effets boule de neige", des "effets papillon", des "engrenages de chaotisation" qui, une fois lancés, ne sont en général plus "rattrapables". N'oublions jamais que la Vie en général et la Nature biosphérique en particulier sont des processus irréversibles (second principe de la thermodynamique).

 

Comme souvent, ce type de problématique complexe appelle cinq angles de vue complémentaires (mais pas toujours convergents).

 

Le point de vue "Choix de la cible".

Le point de vue "Choix de la finalité".

Le point de vue "Choix des techniques".

Le point de vue "Choix de l'éthique".

Et le point de vue "Choix de la pratique".

 

Le point de vue "Choix de la cible".

 

Sur quelles espèces faut-il concentrer l'effort de sélection artificielle ? Deux voies s'ouvrent : l'artificialisation des espèces les plus utiles (notamment à l'alimentation, mais pas seulement) et/ou la destruction des espèces les plus nuisibles (vis-à-vis des cultures et des cheptels).

La voie de l'utilité est confinée : on n'artificialise en "vase clos" que certaines espèces directement utiles, mais sans toucher au reste de la Nature. Il est dès lors plus facile d'en mesurer les effets et d'en circonscrire les risques.

La voie de la nuisibilité est globale et consiste à répandre, dans toute la Nature, des processus de destruction massive des agents de nocivité ; il y a là, bien sûr, d'immenses dangers comme avec, en agriculture, les recours massifs aux glyphosates qui détruisent non seulement les insectes "nuisibles" (en termes des rendements à l'hectare), mais aussi la plupart des pollinisateurs (dont les abeilles productrices de miel, de cire et de médicaments polliniques).

 

Je préconise donc de se concentrer sur les sélections artificielles confinées qui ne concernent que les espèces utiles à la bonne survie de l'humain.

Mais même en ce qui concerne ces espèces-là, des restrictions s'imposent. En effet, la modification des profils héréditaires par sélection artificielle et les patrimoines génétiques qui deviendront dominants, n'est pas neutre.

L'hyper-sélection que subissent certaines races de chien (comme les bergers allemands) au vu de critères d'une "race pure" obsédés d'esthétique (qu'est-ce que le "beau" ?), a produit des races parfaites pour les concours de beauté et de perfection des jeunes chiens adultes, mais a induit des animaux qui, en vieillissant, ont tendance à devenir fous (et agressifs), perclus d'arthrose (et de douleurs) et atteints d'énormes problèmes de colonne vertébrale.

De même, certaines races bovines ont été sélectionnées progressivement selon des critères de production viandeuse (cul-de-poulain, etc …) et, aujourd'hui, de ce fait, sont devenues incapables de vêler sans césarienne (des vaches, donc, en souffrance permanente) comme la "blanc-bleu" belge, par exemple.

Ces exemples ouvrent des questions qui seront abordées dans les paragraphes suivants.

 

*

 

Le point de vue "Choix de la finalité".

 

Des sélections artificielles appliquées à certaines espèces confinées ? Soit, pourquoi pas sur le principe ? Mais quelle est la finalité de cette sélection drastique ?

N'oublions pas que cette sélection artificielle, à grande échelle, aboutit, de fait et bien logiquement, à un effondrement de la biodiversité de ces espèces et au maintien en vie des seules variétés compatibles avec les critères visés.

Alors : la sélection artificielle, pour-quoi faire ?

 

Encore une fois il faut distinguer quatre catégories de finalité selon que l'on vise :

  • le quantitatif (rendement physique, commercial ou financier de tous les maillons de la chaîne …) ou le qualitatif (qualité, santé, goût, fragilité, conservativité, etc … des produits) ;
  • le point de vue de la consommation humaine ou celui de la condition animale.

 

La petite matrice ci-dessous tente de proposer une typologie des finalités de la sélection artificielle (cette matrice reste à remplir par les professionnels) :

 

 

Quantitatif

Qualitatif

Profit humain

 

 

Profit animal

 

 

 

J'espère que les décideurs, en matière de sélection artificielle, distingueront bien les quatre cases de cette petite matrice, et feront leurs choix en conséquences de cause.

Dans cette matrice, selon moi, tout ce qui nuit au bien-être animal et à la biodiversité (ce que j'appelle ici "profit animal"), tant à court terme qu'à long terme doit être banni.

Quant à ce que j'appelle "profit pour l'humain", l'effort devrait se concentrer beaucoup plus sur les améliorations qualitatives que sur les améliorations quantitatives ; cela s'explique du simple fait que nous changeons de paradigme économique. L'ancien paradigme (né au début du 19ème s.) était basé sur une logique de masse et de prix bas (qui accule l'artisanat et la paysannerie à la quasi faillite) : il est totalement révolu ; quant au nouveau paradigme, il tend à privilégier une logique de la qualité et de la valeur d'utilité réelle.

Il faut donc appliquer sans cesse et en profondeur le principe de frugalité qui dit ceci : "En tout, faire moins, mais mieux". Moins de quantitatif (moins) et plus de qualitatif (mieux) ! Par exemple : vendre moins, mais plus bien plus cher ; cultiver la virtuosité et la faire payer à son juste prix ; cesser de brader les produits et sortir du consumérisme de masse ; boycotter la grande distribution (qui, effectivement, distribue à tour de bras de l'argent et des marges bénéficiaires qui ne lui appartiennent pas) ; etc ….

 

*

 

Le point de vue "Choix des techniques".

 

Ce point est essentiel, mais sort largement de mes compétences tant physiciennes que philosophiques. Il me revient, cependant, d'insister sur l'importance des décisions en matières des techniques utilisées pour réaliser, au mieux, cette sélection artificielle.

Il me semble essentiel d'avoir toujours bien en tête le principe de "la moindre souffrance" ou, mieux, de "la non souffrance" de l'animal.

Et j'insiste sur le fait que la notion de souffrance ne prend pas seulement sens au moment de l'acte, mais aussi, et surtout, sur le moyen et long terme, bien après l'acte sélectif (cfr. l'exemple ci-dessus de l'hyper-sélection absurde des bergers allemands).

Encore une fois, la sagesse antique qui préconisait d'imiter, en tout, la Nature, est de bon aloi ; après tout, c'est elle qui a inventé la sélection naturelle, non ? Et avec les merveilleux résultats que l'on sait. Mais elle a pris son temps, et a fonctionné modestement, par essais et erreurs contrôlés sur la durée.

Et pour faire bonne mesure, ajoutons un bon assaisonnement de ce dicton ancien : "Dans le doute, abstiens-toi !".

 

Il ne faut jamais oublier que la beauté et la robustesse d'un arbre et, par extension, celles d'une arborescence (comme celle des espèces animales et végétales), tient à la diversité de ses branches et rameaux, et à la force de ses racines. Biodiversité maximale, donc, et dénaturation minimale, donc.

A cela ajoutons le conscience qu'une branche coupée ne repousse jamais, et l'on comprendra que, quelques que soient les techniques utilisées, c'est l'arbre global qu'il faut regarder (regard holistique sur la Vie) et non tel ou tel rameau (regard analytique de myope, âpre au gain immédiat et sans avenir).

 

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Le point de vue "Choix de l'éthique".

 

Faut-il encore répéter que l'éthique s'occupe du comportement concret de chacun, face à ses choix et à ses actes, alors que la morale n'est que l'ensemble des règles conventionnelles globales propres à une communauté.

Je parle ici d'éthique personnelle, donc.

Comment faut-il regarder le monde ? Avec les yeux de "Dieu" ou avec les yeux humains (cette image est d'Albert Einstein, non suspectable de bigoterie) ?

Le regard de "Dieu" n'est pas le regard des humains …

Autrement dit : voir tout le Réel ou voir des choses dans le Réel, ne relèvent ni du même regard, ni de la même posture. Encore autrement dit : considérer le Tout comme l'ensemble de ses parties (les vivants) et considérer le Tout comme unité (la Vie) au-delà de ses manifestations, ne sont pas le même regard.

Il en va de même en ce qui concerne l'éthique de la Vie et l'éthique vis-à-vis de la Vie.

 

Dans le cas qui nous occupe, au-delà des préoccupations typiquement et spécifiquement humaines (qui, il faut bien le dire, indiffèrent royalement le reste de l'univers), c'est de ce processus éminemment complexe qui s'appelle "la Vie sur Terre" dont on parle ici.

Parce que ce processus est imminemment complexe, le jeu classique de la causalité aristotélicienne ne joue plus. Il n'y a pas proportionnalité entre le cause et ses effets, entre l'acte et ses conséquences. Une toute petite expérience locale et mal confinée, peut induire des pandémies et des épizooties colossales et catastrophiques, durables et meurtrières.

 

Ethiquement, il faut s'abstenir de jouer aux apprentis-sorciers. La Vie réelle est infiniment plus complexe et plus interdépendante de tout ce qui vit, que ce que nos sciences encore cartésiennes et analytiques nous en laissent croire.

La biologie et toutes les sciences appliquées qui en découlent, aujourd'hui, sont incapables de construire une seule cellule eucaryote vivante correcte … Comment croire qu'elles puissent comprendre, piloter, maîtriser un organisme complexe qui contient 80.000 milliards de ces cellules et plus encore de "microbes" en symbiose avec elles, tous intriqués dans des processus transversaux d'autorégulation et d'autopoïèse.

Là où règne la complexité (au sens de la science des processus et systèmes complexes - cfr. Prigogine, Whitehead, Morin, Gribbin, Gleick, …), les démarches analytiques, réductionnistes et causalistes ne fonctionnent plus. C'est le cas dans le domaine de la Vie où des conjectures approximatives font office de "théories scientifiques".

 

L'adage qui voudrait que : "à risques limités, conséquences limitées", n'est ici plus d'application. Nous avons quitté le domaine des systèmes mécaniques. Les systèmes organiques sont d'un niveau de complexité infiniment supérieur et, là, tout le vivant participe d'une seule et même Vie : la Vie, la même Vie, se vit au travers de chaque vivant … et toute intervention sur un vivant isolé, se répercute immédiatement sur toute la Vie de tous les vivants.

 

Cette intrication incontournable doit inspirer toute réflexion éthique dès que l'on touche au domaine du vivant. Il ne s'agit nullement de tout bloquer par soumission radicale à un "principe de précaution absolue" ; il s'agit de pratiquer la plus extrême des circonspections. Rappelons-le : en ces matières du vivant, l'ignorance humaine est encore beaucoup plus grande que son orgueil … quoiqu'en disent les "scientifiques" qui sont bien plus des "hommes de l'art" que des "hommes de science".

Il faut donner sa chance à cet art, mais pas à n'importe quel prix !

 

*

 

Et le point de vue "Choix de la pratique".

 

La mise en convergence des quatre champs de choix et de décision qui précèdent, relève du casse-tête, bien sûr. Comment en serait-il autrement avec quelque chose qu'aussi complexe et d'aussi précieux que la Vie.

Dans la pratique, je crois que ce que nous, les humains, connaissons et maîtrisons réellement, est infime face à ce que nous ne connaissons ni ne maîtrisons guère.

Comme la vérité, en ces matières, est inconnue, force est de mettre au point des protocoles les plus sûrs possibles, pour éviter les dérapages, les incohérences, les inepties, les "docteurs fol-amour" en tous genres.

 

Il me paraît essentiel, dans la pratique, d'encadrer les expériences de sélection artificielle par ces protocoles prudentiels en mettant en pratique la petite typologie décisionnelle proposée plus haut :

 

 

Quantitatif

Qualitatif

Profit humain

 

 

Profit animal

 

 

 

Et de la compléter par une troisième dimension : celle qui balance le court-terme et le long terme (où le long terme doit toujours être privilégié).

Ces protocoles ne doivent pas devenir des carcans procéduriers, normatifs et bureaucratiques, mais faire l'objet d'un réel travail en réseau collaboratif, de partage des expériences et de leurs résultats, de communication sur les bonnes pratiques, de circulation des "papiers" scientifiques pertinents et idoines, etc …

*

En guise d'épilogue …

Allice a de beaux jours devant elle, ne serait-ce que pour la mise en place et l'animation de ces protocoles prudentiels.

 

Marc Halévy pour Allice

Le 15 octobre 2020