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Interview sur la frugalité

La notion de frugalité de vie est très ancienne ; elle habitait déjà des philosophes grecs antiques comme Diogène de Sinope, Epicure ou les stoïciens. Ailleurs, au Japon par exemple, le minimalisme est un art de vivre très ancien. Quant à la France ...

- A quand remontent les premiers frémissements d'une tendance française à la frugalité ?

 

La notion de frugalité de vie est très ancienne ; elle habitait déjà des philosophes grecs antiques comme Diogène de Sinope, Epicure ou les stoïciens. Ailleurs, au Japon par exemple, le minimalisme est un art de vivre très ancien.

Quant à la France, il y a toujours eu des frugalistes et des minimalistes, mais ils étaient très largement minoritaires et marginaux. Les mouvements hippies qui dénonçaient la société de consommation dans les années 1960, ont sans doute jouer un rôle dans le déclenchement de cette prise de conscience que la consommation ne pouvait pas être une fin en soi et que d'autres modes de vie étaient possibles.

Ensuite, diverses mouvances du genre "retour à la nature" ou "des chèvres dans le Larzac" ont pris le relais sans vraiment convaincre.

Les choses changent depuis une quinzaine d'années dans toutes sortes de catégories sociales (dont les personnes plus âgées et/ou plus aisées, et les plus jeunes de la génération Z, les générations X et Y étant beaucoup plus accrochées à leur petit confort bourgeois, et les milieux peu aisés étant obnubilés de consommations industrielles, notamment de "malbouffe")

 

- Comment définiriez-vous en quelques mots ce mouvement ?

 

Ce n'est pas à proprement parlé un "mouvement" : c'est un art de vivre diffus, le plus souvent sans idéologie, sans organisation sociale, sans structure : cela relève d'une décision et d'un choix personnel ou familial. Tout au contraire, dès que cette tendance libre et diffuse se verra structurée et massifiée dans des "associations", des "mouvements", des "partis", elle perdra sa vivacité et sa crédibilité au profit de mouvances gauchisantes sans intérêt, mais dangereuses comme on le voit avec le racialisme, l'indigénisme ou autres.

Avec le principe de la frugalité, il s'agit, au fond, de se rendre compte que l'on travaille beaucoup pour gagner de l'argent qui sera majoritairement gaspillé à s'acheter de l'inutile, du superflu, du frivole et du futile.

La frugalité, je la définis comme la volonté, dans tout ce que l'on fait, de faire "moins mais mieux". Voire beaucoup moins et beaucoup mieux. Le qualitatif contre le quantitatif ; la qualité contre la quantité ; la légèreté et le désencombrement de l'existence contre l'enlisement dans le massif et le lourd ; l'être et le devenir contre l'avoir et le paraître ; la joie de vivre contre le poids de vivre. L'autonomie existentielle contre la servitude volontaire.

Car avoir besoin des choses, c'est être esclave des choses ; avoir besoin de gens, c'est être esclave des gens.

Il ne faut jamais confondre interdépendance et dépendance, ni ne jamais confondre autonomie et indépendance. Être frugal, c'est aussi être autonome ET interdépendant.

 

- A quels domaines s'applique-t-il ?

 

A tous les domaines. Celui de la vie personnelle et familiale, celui du management des entreprises, celui de la vie communautale, celui de la vie sociale.

La quantité des ressources disponibles pour chaque être humain ne cesse de diminuer depuis un siècle et demi ; les réservoirs de ressources non renouvelables s'épuisent et les ressources dites renouvelables ne le sont pas (le vent est renouvelable, mais pas l'éolienne). La décroissance démographique doit être vivement accélérée (si l'on ne veut pas de décroissance économique, il faut une drastique décroissance démographique : moins d'enfants, mais des enfants mieux) et la frugalité va devenir le nouvel art de vivre à tous les niveaux : éliminer le superflu et l'inutile, et se concentrer sur le nécessaire et l'indispensable, sur ce qui apporte une vraie joie et non plus sur ce qui apporte une illusion de prospérité.

 

- Pensez-vous que la crise actuelle peut contribuer à amplifier la frugalité, au sens de limitation volontaire de la consommation ?

 

Oui, évidemment.

 

- Pourquoi ?

 

On a vu, durant la période de confinement, les habitudes d'achat changer radicalement chez beaucoup de ménages. Un recentrage sur le nécessaire et l'indispensable, et un renom au futile et au frivole. Du coup : impact immédiat sur toutes les pollutions physiques et mentales.

Mais la question qui se pose est celle-ci : cet élan de frugalité sera-t-il durable ou ne sera-t-il qu'une passade imposée par les circonstances ?

Fidèle à Albert Einstein qui donnait la bêtise humaine comme exemple de l'infini, je pense qu'elle ne sera qu'une passade pour beaucoup ; en revanche, je suis persuadé que s'est constitué un noyau dur de gens qui a franchi le cap et qui est réellement entré "en frugalité" parce qu'il a vécu et compris que l'hyperconsommation actuelle n'est qu'une drogue intoxicante qui nous écarte de la vraie vie, qui nous fait prendre des vessies pour des lanternes, qui nous aveugle loin du Réel pour nous emprisonner dans l'illusion et l'apparence. Et dans le déni de réalité.

 

- Le lien entre bonheur, consommation et possession serait moins fort ?

 

Ce lien est purement artificiel et n'a jamais existé. Il est un pur produit de la publicité et du marketing.

Tout le temps et l'énergie gaspillés pour le futile et le superflu, est du temps et de l'énergie perdus pour l'essentiel : vivre la vraie vie intérieure, conjugale, familiale ou amicale.

La valeur d'utilité d'une chose ou d'une relation est l'exacte mesure de la difficulté que l'on aurait à devoir s'en passer. Et il est bien des choses et des relations dont on pourrait très aisément se passer. Alors, passons-nous en et recentrons notre économie de vie et nos économies de marché sur la qualité et la valeur d'utilité, et non plus sur la quantité et le prix.

Le bonheur ? C'est un mauvais mot qui signifie la "bonne chance" (le "bon heur" en ancien français). Avec Spinoza, je lui préfère la "Joie" car le bonheur se reçoit alors que la joie se construit. La joie est un état d'esprit, une volonté intérieure qui doit s'éveiller chaque matin. Il nous faut dépasser les notions de "plaisir" et de "bonheur" et atteindre enfin l'idée de la "Joie".

La possession ? Être propriétaire de ce qui est quotidiennement indispensable à une bonne et belle vie ? Mais oui, bien sûr. Mais accumuler des possessions inutiles qui s'amoncellent dans les armoires, les caves ou les greniers, est absurde. Il faut bien distinguer deux catégories de biens : ceux qui sont quotidiennement indispensables, et ceux qui ne le sont pas. Pour ces derniers, la "possession" est inutile et l'accès à eux, lorsqu'utile, est suffisant. C'est l'essence même des nouvelles formes d'usage sans propriété, comme BlaBlaCar ou Airbnb.

La propriété de l'indispensable : oui. L'appropriation du superflu : non.

A chacun donc de définir, en âme et conscience, ce qui est indispensable pour lui.

 

- Si le bien-être matériel, l’argent, la réussite sociale ne sont plus prioritaires, qu'est-ce qui pourrait les supplanter ? Quelles valeurs ?

 

Il y aura toujours plein de gens pour lesquels ces illusoires mirages de vie seront prioritaires.

Le bien-être matériel n'est rien s'il n'est pas accompagné d'un bien-être affectif, intellectuel et spirituel.

L'argent est un moyen, pas un but ; il faut donc décider au service de quoi l'on met l'argent que l'on gagne.

La réussite sociale, c'est la réussite "dans la vie", c'est-à-dire la réussite dans le paraître, dans le regard des autres, sur l'artificielle et conventionnelle échelle sociale ; d'autres prétendent vouloir réussir leur vie plutôt que dans la vie … peut-être, mais souvent en instrumentalisant et en manipulant les autres.

La seule question qui vaille est celle qui dit : au service de quoi vais-je mettre mon existence (et je n'en ai qu'une et elle est courte) ? Au service de mon nombril ? C'est une option, mais c'est la plus pauvre et la plus débile. Alors : au service de quoi ? A chacun de décider, en âme et conscience. Que voulons-nous accomplir durant notre brève existence ? Qu'est-ce qui lui donnera sens et valeur ? Certainement pas le nombril. Qu'est-ce qui est sacré pour moi au point de m'y consacrer jusqu'au sacrifice de mes petits conforts et de mes petits plaisirs ?

Vous le voyez, la question de la frugalité ouvre toutes les fenêtres vers le questionnement existentiel de fond : qu'est-ce qui est vraiment important pour moi ?

Quelles seront les nouvelles valeurs ? Celles que vous vous donnerez au service de ce qui vous dépasse et de ce qui vous fera grandir et vous accomplir.

De Marc Halévy pour Anne-Sophie Douet

Hors série Naturissime

Le 16/07/2020