Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Sur le malthusianisme . Lettre ouverte à Pascal Bruckner

Dans son édition du 28 mars 2019, Le Point a édité un article de Pascal Bruckner intitulé "Contre les prophètes de la fin du monde". J'ai beaucoup d'estime pour Pascal Bruckner lorsqu'il parle de ce qu'il connaît si bien : l'Islam. J'en ai beaucoup moins lorsqu'il met son nom au service de discours nourris de démagogies simplistes et d'ignorances crasses.

Très salubrement, on assiste aujourd'hui - enfin - à un retour en force des thèses malthusiennes quant à l'avenir de l'humanité. Sans accepter les thèses collapsologistes et les pires scénarii d'effondrement, ce retour malthusien est non seulement légitime, mais il est aussi indispensable.

La viabilité de l'humanité sur Terre dépend de quatre paramètres :

  1. la fécondité nette qui mesure le nombre moyen d'enfants par vie de femme (ce nombre varie de 1 à 9 selon les régions, mais recule doucement partout) ;
  2. l'espérance moyenne de vie qui, en moyenne augmente sur la planète mais qui diminue déjà dans les pays développés pour cause d'obésité, de diabète, de maladies auto-immunes, de cancers liés aux pollutions et empoisonnements domestiques, etc …
  3. La conjonction de ces deux paramètres induit une baisse de la population humaine après 2050 (où elle culminera autour des 10 milliards) pour atteindre, vers 2100, 7 milliards environ (ce qui est encore cinq milliards de trop, nous le verrons).
  • Premier paramètre : la démographie humaine qui évalue le nombre de consommateurs vivants et qui évolue selon deux paramètres :
  • Le deuxième paramètre : la réserve de ressources nécessaires pour couvrir les besoins de cette population humaine ; il faut ici distinguer ce que l'on appelle les ressources renouvelables et les ressources non renouvelables ;, les ressources non renouvelables proviennent de la Terre qui les a produites et accumulées pendant 4 milliards d'années:
  • * elles sont soit inertes : eau, roches, charbon, minerais métalliques, pétroles, gaz hydrocarburés, argiles, kaolins, ciments, terres arables (qui diminuent rapidement tant en surface qu'en fertilité) …

    * soit vivantes : toutes les espèces vivantes où nous puisons sans vergogne et dont la biodiversité tant végétale qu'animale s'effondre, sans oublier les indispensables forêts (productrices de l'oxygène que nous respirons), sans oublier non plus les insectes pollinisateurs sans lesquels il n'y aura plus ni fruits ni légumes dans nos assiettes, etc ….

    • 80% du stock total des ressources non-renouvelables contenues dans la Terre, ont été consommés entre 1850 et 2000 avec une accélération terrible depuis 1985 et une baisse spectaculaire des découvertes de nouveaux gisements exploitables.

    Les ressources renouvelables cristallisent aujourd'hui les illusions et mythes de la "transition", mais, dans les faits, elles cachent sournoisement que pour transformer un "carburant gratuit" de très mauvaise qualité entropique (le vent ou la lumière solaire, par exemple) en électricité utilisable au bon moment, il faut des machines travaillant avec un très mauvais rendement thermodynamique (ce rendement n'est bon qu'avec des "carburants" de haute qualité entropique) ; de plus, ces machines requièrent l'utilisation exclusive de quantité pharaoniques de matériaux non-renouvelables et non-recyclables (le meilleur exemple en est ces absurdes et monstrueuses éoliennes qu'EDF et des politiques débiles imposent, aujourd'hui, aux paysages et aux portefeuilles des contribuables et qui seront abandonnées dans deux décennies au plus). Sans entrer dans le détails, l'indice thermodynamique TRE (taux de rendement énergétique) montre que toutes les filières dites "renouvelables" ou "douces" (éolien, photovoltaïque, hélio-concentration, etc …) ont un TRE inférieur à 7 c'est-à-dire inférieur au seuil d'utilisabilité durable ; bref, ce sont des gadgets technologiques, idéologiquement correct, mais économiquement inutilisables.

    • Le troisième paramètre : la consommation humaine (sans oublier les désastreuses calamités collatérales de cette consommation). Lorsqu'il n'y aura plus du tout de ressources non-renouvelables disponibles et/ou accessibles, l'humanité entière devra se contenter de vivre exclusivement sur les ressources dites renouvelables et accorder sa propre évolution au taux de renouvellement desdites ressources. Aujourd'hui, tout confondu, les ressources renouvelables (c'est-à-dire des dérivés de la trop entropique énergie solaire pour 94%) satisfont seulement 15% des besoins humains actuels et, par simple application du principe de Carnot et de son rendement maximal indépassable, elles ne pourront pas satisfaire plus de 20% des besoins actuels. Cela signifie deux choses :
    1. le premier paramètre d'ajustement est la population humaine totale sur Terre : aujourd'hui, il y a 80% d'humains en trop sur Terre et il faut donc que la démographie humaine globale redescende et se maintienne sous la barre des 2 milliards d'âmes (c'était la population mondiale en 1926) ; en gros, nous avons deux siècles pour réussir cet atterrissage en douceur (si nous ne le faisons pas sérieusement, ce seront les catastrophes naturelles ou guerrières qui le feront) ;
    2. l'autre paramètre d'ajustement est la consommation moyenne de ressources par tête qui est, aujourd'hui, dans beaucoup de continents (Amérique du Nord, grande Chine, grande Inde, Amérique du Sud et Europe), beaucoup trop élevée. Il s'agit donc d'accepter d'urgence ce fait simple que nous sommes déjà en pénurie de presque tout, et que nous devons discipliner radicalement nos modes de vie afin d'instaurer une grande frugalité "tous azimuts" : en tout, il faut faire MOINS, mais MIEUX, cultiver la décroissance matérielle et quantitative, compensée par une réelle croissance immatérielle et qualitative.
    3. Ces deux paramètres d'ajustement doivent être activer constamment et conjointement car l'un sans l'autre est insuffisamment puissant.
    • Le quatrième paramètre : la technologie est béatement regardée, aujourd'hui, par les ignorants, comme la grande salvatrice de nos conforts et habitudes consommatoires : on nous dit que lorsqu'il n'y aura plus grand' chose, la technologie en fera des miracles (souvenir, sans doute, de la multiplication des pains et des poissons selon l'Evangile). Trois considérations fondamentales peuvent être faites quant à l'évolution technologique :
    1. la technologie, quoique puisse en penser l'orgueil humain, est totalement soumise aux lois de la physique pour lesquelles "il n'y a jamais de miracles" : les lois de conservation sont telles que tout ce que l'on construit ici, implique de la destruction ailleurs, et à plus forte dose (tous les rendements de transformation doivent être inférieur à 1 ; c'est le second principe de la thermodynamique) ;
    2. L'histoire de la technologie montre que la quasi-totalité des techniques mésoscopiques - qui concernent et fondent le monde humain - ont déjà adopté presque toutes les améliorations possibles et qu'il n'y a plus de gros progrès à attendre de ce côté ; tout progrès futur sera très petit, mais nécessitera de très gros efforts … somme toute inutiles.
    3. la technologie de résout jamais les problèmes ; elle les déplacent : pour les voitures, passer des moteurs thermiques à essence aux moteurs électriques diminuent les émission de gaz de carbone en ville, certes, mais nécessite le quasi doublement du nombre des centrales électriques (nucléaires, au charbon, au gaz, etc …) à la campagne ; de plus, ces mêmes véhicules électriques exigent des piles et batteries de stockage qui sont des catastrophes écologiques (elles impliquent la mise en œuvre de produits chimiques à la fois extrêmement nocifs et terriblement rares). En toutes ces matières, le leitmotiv doit radicalement changer : non pas produire autrement, mais consommer beaucoup, beaucoup moins !

    On le voit, l'ensemble de ces quatre paramètres permet de dessiner quelques scénarii de sortie dont l'effondrement "maximal" est un des possibles. Mais jamais le pire des possibles n'est certain pour autant que les humains entrent en lucidité et cessent de croire aux mythes et aux miracles ; pour autant qu'ils sachent que la "solution" ne viendra jamais ni de l'Etat, ni des "autorités", ni de la Loi. Il faut apprendre rapidement à sortir du paradigme actuel (celui de la modernité) et construire un nouveau paradigme radicalement différent qui se constituera, peu à peu, par concrétions successives des initiatives que chacun prendra pour vivre autrement dans son propre monde.

    Il faut entrer dans une logique de la responsabilité personnelle : ce que chacun ne fera pas dans son propre monde, à sa propre mode, personne ne le fera à sa place … et ceux qui paieront ces paresses, ce seront nos enfants et nos petits-enfants.

    Marc Halévy

    Physicien, philosophe et prospectiviste

    Le 04/04/2019