Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

La stratégie de l'émotion

Le piège de l'émotionnel.

Lors de la guerre de Kippour, alors que j'étais militaire à Tsahal, un de mes officiers disait parfois : "Un soldat qui a des états d'âme, est déjà mort !". Et pourtant la peur était souvent palpable. Et la tristesse aussi … Mais on a toujours peur ou l'on est toujours triste avant coup ou après coup, jamais pendant l'action même. Les émotions ne taraudent le moral que si on leur le permet et que si on leur en donne le temps.

Aujourd'hui, dans les mondes de l'entreprise, on voit s'installer une mode de  l'émotionnel, du partage permanent des états d'âme. Toute réunion vire quasi systématiquement à la psychothérapie de groupe. Sans parler des grand' messes de communions extatiques dont le Révérend Moon et les télévangélistes américains avaient fait leur fonds de commerce.

Et pourtant, depuis près de trois mille ans, les philosophes ne font que dénoncer la dangerosité des émotions. Car l'émotion n'est que le degré zéro de la sensibilité. Son niveau reptilien. Les épicuriens prônaient l'apatheïa (l'absence de souffrance et de sentiment) alors que les stoïciens, eux, promouvaient l'ataraxia (l'absence de trouble et d'émotion). Pour leur donner raison, il suffit d'observer les débordements - quasi bestiaux - d'exaltations, de délires, de vociférations, d'embrassades des supporters lors des matches de football.

En ce sens, les stades sont les plus grands laboratoires d'étude de la médiocrité humaine.

Mais revenons aux mondes de l'entreprise et du management. Je pense que l'on y vit une forme d'euphorisation émotionnelle très dangereuse. En effet, une guerre économique mondiale a été déclenchée tant par les Etats-Unis que par la Chine, relayée par la Russie, l'Arabie Saoudite et l'Iran. Dans cette guerre, l'Europe a choisi, faute de réelle fédération supranationale, de s'offrir en tant que champ de bataille plus que d'opposer une réelle armée (qui pourrait, pourtant, être la plus puissante du monde).

Nos entreprises sont en guerre. Nos managers en sont les soldats. Bientôt, dans les deux à trois ans au plus tard, un effondrement du système financier mondial va enclencher la plus grande bataille économique de l'histoire. Les pertes seront lourdes et les faillites nombreuses.

Je pense que nos entreprises et managers, inconsciemment, sentent tout cela, mais ils refusent obstinément de l'objectiver. Alors, ils s'enivrent de bons sentiments, de "peace and love", d'empathie et d'écoute, de "partages" et "échanges", de communions émotionnelles aussi vaines que superficielles. Tout cela ressemble à de la prophylaxie psychologique digne du café du commerce. On fait du psy. On psychote. On pratique - c'est à la mode surtout sur FesseBouc - la rencontre entre exhibitionnisme et voyeurisme.

On s'aime. On se papouille. L'heure est à l'euphorie conviviale rebaptisée "humanisme".

L'heure est à l'étalage des états d'âme.

Mais répétons-le : " Un soldat qui a des états d'âme, est déjà mort !". Et nous sommes déjà en guerre …

Marc HALEVY, 23/11/2018