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Régularité maçonnique : une mise au point

La Franc-maçonnerie n’existe souvent plus aujourd’hui qu’à travers des loges laïques, athées et matérialistes qui rassemblent en fait des membres influents de la société désireux de former un lobby plus ou moins occulte. Mais c’est oublier à quel point la Franc-maçonnerie traditionnelle était (ou est encore dans certaines loges) imprégnée du patrimoine culturel antique, et forma des personnalités aussi diverses que Goethe ou Proudhon, tous inscrits dans une filiation qui remonte en fait d'Héraclite à Nietzsche. Là encore, pouvez-vous nous dire quels aspects de la Franc-maçonnerie puisent le plus directement à vos yeux dans les sagesses anciennes ? Quelles convergences peut-on établir entre ces corps doctrinaires différents, mais néanmoins apparentés ?

Il faut d'abord faire une mise au point cruciale pour sortir - je l'espère, définitivement - de l'impasse maçonnique franco-française. De quoi s'agit-il ? Du principe de Régularité maçonnique universelle. Sans trop entrer dans les détails historiques, pourtant essentiels si l'on veut y comprendre quelque chose, disons ceci. La Franc-maçonnerie moderne est née au 17ème siècle dans le dernier pays où les corporations de bâtisseurs étaient encore vivantes : les îles britanniques, spécialement en Irlande, en Ecosse et à York, avec quelques Loges moribondes de ci de là, notamment à Londres et Westminster où se fonda, par désespoir et désir de résurrection, la Grande Loge de Londres entre 1717 et 1723. Cette Grande Loge de Londres s'établit sur des principes "modernes" (les Moderns) qui furent rapidement combattus et éliminés par les Loges traditionnelles d'Ecosse, d'Irlande et de York (les Ancients), mais qui essaimèrent très vite en France et Belgique, puis en Allemagne, en Suisse et en Suède. En gros, les Ancients préservaient la vision spirituelle et rituelle héritée des constructeurs de cathédrales, alors que les Moderns cultivaient les valeurs mondaines de ce qui deviendra les "Lumières". En Grande-Bretagne, ces innovations modernes furent assez vite tuées dans l'œuf. Mais le mal était fait et la "voie substituée" avait déjà contaminé d'autres pays.

En France, la révolution parisienne de 1789, força la majorité des Francs-maçons français (presque tous des nobles ou de riches bourgeois) à fuir et à se réfugier qui en Allemagne, qui en Angleterre, où ils réintégrèrent la Franc-maçonnerie traditionnelle.
Tout dérapa avec Napoléon Bonaparte qui, constatant que les élites françaises avaient fui la "révolution", fit revenir les Francs-maçons en leur promettant la liberté de réunion en échange d'une allégeance totale au pouvoir impérial. Une part des Francs-maçons français acceptèrent et vinrent faire amende honorable devant le pouvoir sous la férule d'un "Grand Maître" de pacotille, frère de l'Empereur et d'un laquais de l'Empire : Cambacérès. Le Grand Orient de France, à la botte de la dictature napoléonienne était né. L'union sacrée entre la pseudo maçonnerie française et la politique était ainsi scellée. De là, les organisations pseudo maçonniques qui sévissent encore : le Grand Orient de France, le Droit Humain et quelques autres "obédiences" qui ne sont reconnues par personne et qui sont officiellement désavouées par toutes les Grandes Loges régulières du monde. Pour les vingt millions de Francs-maçons dans le monde, les membres de ces organisations irrégulières, rongées de politique, de laïcisme, d'humanisme, d'idéologie et d'affairisme, ne sont pas des Francs-maçons. C'est aussi simple que cela.
La Franc-maçonnerie traditionnelle, régulière et universelle a une vocation exclusivement spirituelle et initiatique, et ne peut ni ne veut accepter la moindre interférence avec les mondes religieux, politiques ou économiques. La Franc-maçonnerie régulière et traditionnelle, en France, s'incarne exclusivement dans la Grande Loge Nationale Française (GLNF) ; tout le reste n'est pas de la Franc-maçonnerie. Dont acte !
D'un point de vue spirituel, la Franc-maçonnerie régulière universelle est l'héritière, en droite ligne, des Sociétés des Maçons libres qui naquirent sur les chantiers romans et fleurirent sur ceux des cathédrales gothiques. Elle possède des racines essentiellement chrétiennes qui se sont enrichies, chemin faisant, d'inspirations kabbalistes, rosicruciennes, templières, etc …
La Franc-maçonnerie traditionnelle, régulière et universelle pratique exclusivement des rituels qui ont été mis en forme et début du 18ème siècle (sur la base de catéchismes beaucoup plus anciens) et qui constituent le fil rouge initiatique de la progression spirituelle des Francs-maçons. Il ne se passe rien d'autre, en Loge : ni conférences, ni débats, ni résolutions. Laissons cela aux officines partisanes, aux cafés du commerce ou aux écoles du soir.
L'essence profonde de la Franc-maçonnerie, c'est-à-dire la logique interne qui régit l'accomplissement de l'Ordre maçonnique, partout dans le monde, est la reconstruction spirituelle et intérieure du Temple de Salomon, selon les plans décrits dans la Bible hébraïque qui doit donc se trouver au centre de la Loge et de ses travaux. Cette reconstruction se fait "à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers" qui symbolise non pas un principe d'autorité qui gouvernerait l'univers, mais bien le principe de cohérence, transcendant et immanent, qui engendre cet univers vivant dans lequel travaillent les initiés. L'architecte garantit la cohérence de l'édifice et du travail sur le chantier.
L'écossisme du Rite Ecossais Ancien et Accepté, qui est une des branches spirituelles de la Franc-maçonnerie, est probablement la plus proche d'un naturalisme spiritualiste tel qu'évoqué plus haut. Le Rit (sic) Ecossais Rectifié, lui, est plus christique et théiste.
Tous ces rites cohabitent en parfaite harmonie et fraternité.
La Franc-maçonnerie régulière universelle veut se placer, spirituellement et philosophiquement, au-delà et au-dessus des diverses traditions spirituelles et religieuses, laissant à chaque initié la totale liberté d'aller s'abreuver aux sources de son choix. L'initiation maçonnique pose le Divin au-delà de l'humain (elle n'est donc pas un "humanisme"), mais laisse à chacun la totale liberté de "définir" son Divin. Ce qui rassemble les Francs-maçons, ce n'est pas la définition du Divin, mais le cheminement initiatique et rituel vers ce Divin, quel qu'il soit. Les rites maçonniques sont le balisage d'un chemin vers le Divin, vers la divinisation de l'homme initié.
On le comprend donc facilement : la Franc-maçonnerie traditionnelle, régulière et universelle se définit comme une aristocratie initiatique et spirituelle qui n'a que faire des gesticulations sociétales et mondaines, politiques et économiques, qui animent tant le monde profane.
 
Marc HALEVY, 3/2017