Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

A propos de "peuple élu"

La notion de peuple "élu" mérite, sans doute, trois mots d'explication au vu des tonnes d'encre malsaine qu'elle a fait couler dans les veines de la haine et de la jalousie. Elire, c'est choisir. Qui choisit qui ?

La tradition juive raconte que parmi les Elohim, les dieux qui sont les forces vives animant le cosmos, il en était un qui était seul. Son nom ? YHWH, imprononçable. Mais qu'est-ce qu'un dieu sans des hommes pour lui rendre culte ? Ce dieu-là n'avait aucun peuple et tous les peuples avaient leur dieu tutélaire. Tous sauf un : un peuple nouveau, "fabriqué" de toutes pièces par un Lévy égyptianisé nommé Moïse, un rescapé, un survivant, comme il y en eut beaucoup dans l'histoire de ce peuple improbable.
Par l'entremise de ce Moïse, ce peuple orphelin et ce dieu solitaire se choisirent l'un l'autre. YHWH devint le dieu tutélaire du peuple d'Israël et le peuple d'Israël devint le peuple "élu" par ce dieu perdu.
Pour un Juif, cette élection réciproque ne pose pas de problème. Ce dieu lui appartient et lui, il appartient à ce dieu. Cela ne regarde personne, et surtout pas les autres nations. La question se gâte dès lors que certains ont voulu faire de YHWH le seul dieu, le Dieu, et transformer le particularisme juif en universalisme notamment chrétien (katholikos, en grec, signifie universel), puis musulman.

Imaginons ... Soit un homme et une femme. Ils se rencontrent un peu par hasard et décident de s'élire mutuellement. Ils forment un couple, se marient et sont heureux de vivre leur vie intime, à deux, au sein du vaste monde, sans embêter personne. Mais les années passent et la femme devient folle : elle décide qu'elle veut posséder tous les hommes. Comme elle est très belle, éternellement jeune et belle, elle a un incroyable succès. Elle a beaucoup d'amants. Et le mari indulgent et vieillissant est tolérant : le bonheur de sa femme avant tout. Et ces deux-là continuent de se voir et de s'aimer. Et cela gêne les milliers d'amants de la femme qui sont jaloux de ce vieux mari : il faut qu'il parte, il faut qu'il disparaisse, il faut l'exterminer car l'idée que ce vieux bonhomme fut le premier amant que la femme aima et son mari pour l'éternité, leur est proprement insupportable.

C'est cela toute l'histoire juive. Tout le charivari commence avec Saül de Tarse, dit saint Paul, qui, au nom d'un nommé Jésus, un illuminé juif mort qu'il n'avait jamais connu, fit du dieu tutélaire d'Israël, le seul Dieu universel pour toutes les nations, pour tous les Gentils. La secte qu'il fonda, eut un grand succès. Lorsqu'elle devint Eglise universelle (catholique), elle revendiqua la pleine et nue propriété du Dieu YHWH qu'elle renomma Dieu-le-Père et dont le Jésus qu'elle vénère, fut l'un des nombreux fils. Mais il lui fallut que ce fils fût unique et que les autre fils d'Israël, ses cousins de sang, fussent relégués. C'était elle qui devait être l'élue définitive et éternelle, et non ce peuple minuscule et marginal qui ne lui inspirait que mépris, haine et jalousie.
C'est là que commença l'antijudaïsme qui devint antisémitisme avant de devenir antisionisme. Trois avatars de la même maladie : celle de la jalousie de l'amant envers le mari cocu. Triste comédie de boulevard.

Marc Halévy, 1er juillet 2015.