Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Causalité et convergence

Toutes les sciences (c'est d'ailleurs cela qui les définit) se fondent sur le principe de causalité : comprendre un phénomène, c'est en décrypter les causes et leurs enchaînement logiques et quantitatifs.

L'idée centrale affirme que tout phénomène résulte d'un petit nombre fini de causes identifiables qui sont siennes et qui s'enchaînent linéairement.

Cette idée élémentaire est fausse : un phénomène, quel qu'il soit, résulte non de quelques causes précises et identifiables, mais de la convergence d'un nombre infini de processus parallèles dont le phénomène observé n'est que la résultante et la manifestation locale. Tout phénomène local résulte de la convergence, à cet endroit, à cet instant, de l'ensemble de tous les processus en cours, depuis l'origine des temps, au sein de l'univers.

Rien ne se passerait si tout - absolument tout - ce qui s'est passé, ne s'était pas déjà passé (c'est la généralisation de la conjecture d'Ernst Mach).

Exemple : "Jean, en colère, ramasse un gros caillou et le lance vers la vitre de la chambre d'Emilie ; cette vitre, sous le choc, vole en éclat".

La chaine causale paraît évidente : colère jet bris. Si l'on en reste là, on ne comprend rien à la réalité globale des choses car pour que cette rudimentaire chaine causale puisse rendre compte réellement du phénomène, encore faudrait-il expliquer aussi comment ce caillou se trouve là, d'où il vient, de quel processus géologique il émane ; encore faudrait-il expliquer comment la gravitation terrestre a incurvé la trajectoire du caillou et quelles sont la source et les modalités de cette gravitation ; encore faudrait-il expliquer pourquoi et comment s'instaure un processus colérique chez les primates, le relier aux atavismes et aux mémoires phylétiques, aux processus d'éducation et d'apprentissage, à toutes les influences naturelles et culturelles qui ont fait de Jean un garçon coléreux, et pourquoi et comment cette colère se mue en violence physique qui s'exprime symboliquement par le désir de briser la vitre qui fait écran, malgré sa transparence, entre Jean et Emilie …

Inutile, je pense, de continuer à scruter l'ensemble de tous les processus immémoriaux qui doivent converger pour la vitre se brise (je n'ai pas fait allusion, par exemple, au fait incroyable que la maison d'Emilie soit là et soit ce qu'elle est, et que la fenêtre de sa chambre donne précisément sur le chemin où se trouvent le caillou ; pour le faire, il faudrait refaire tout l'historique de la construction de cette maison et tout l'historique patrimonial et éducationnel de la famille d'Emilie, … sans parler des ressorts historiques et psychologiques de la relation entre Jean et Emilie).

La conclusion vient d'elle-même : affirmer que la "cause" du bris de vitre est le jet du caillou réduit le phénomène à une chaine causale linéaire et rudimentaire, alors que sa réalité est infiniment plus complexe et convoque la totalité de tous les processus en œuvre dans l'univers depuis la nuit des temps. Il aurait suffi qu'un seul élément manquât dans le plus lointain passé pour que le phénomène du bris de cette vitre ne se passât point.

Si l'on veut être conséquent, il faut éliminer de notre mode de penser le principe de causalité linéaire et analytique, et le remplacer par un principe de convergence intégrale et holistique.

Marc Halévy, 29 novembre 2012