Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Ni hasard, Ni nécessité. Physique et métaphysique de l'intention

Auteur : Marc HALEVY (préface d'Edgar MORIN) - Année de publication : 2013
Editeur : Oxus (groupe Piktos) - Genre : Essai
Langue : Français - Format : 13x21 cm - Pages : 260
Public : Tout qui s'intéresse aux sciences et à la philosophie des sciences.
ISBN : 9782848981710

Une des meilleures ventes chez Oxus ! Galilée, Descartes et Newton avaient brillamment inauguré une ère scientifique qui s'achève, celle de la science analytique, déterministe et mécaniste. Les sciences de la complexité ouvrent de nouveaux continents à explorer. Sur d'autres principes, sur d'autres dimensions, sur d'autres prémices. De fondements, l'espace, le temps, la force, le mouvement, la matière deviennent des conséquences, des produits, des faits seconds. Tout est processus, et cela rejoint les vieilles intuitions, grecque de Logos, chinoise de Tao ou indienne de Brahman… Sciences, philosophies, spiritualités et mystiques convergent enfin !

Résumé

Plan du livre 

Préface : échange avec Edgar Morin sur le "Sens du Tragique"

Prologue : les cycles de l'histoire des sciences

Deux visions qui s'affrontent

  • La science classique et son impasse mathématique
  • La science complexe et sa quête des langages adéquats

Matérialisme contre hylozoïsme: Galilée et Sheldrake

Analycisme contre holisme : Descartes et Bergson

Mécanicisme contre organicisme : Newton et Hobbes

Réductionnisme contre émergentisme : Lavoisier et Prigogine

Déterminisme contre téléologisme : Laplace et Theilhard de Chardin

Hasardisme contre intentionnalisme : Boltzmann et Trian Xuan Thuan

Un autre regard sur le cosmos. Qu'est-ce que le Cosmos ? La Matière ? La Vie ? L'Esprit ?

Epilogue : deux questions.

  • Qu'est-ce que la mesure ? 
  • Qu'est-ce que le réel ?


Préface

Echange avec Edgar MORIN sur le sens du tragique.

Entre Marc Halévy et Edgar Morin, août 2012.

Cher Edgar,

À propos de mon manuscrit intitulé « Ni hasard, ni nécessité », tu m’écris ceci :

« J’ai lu très attentivement ton tapuscrit, et j’en sors avec deux idées antagonistes.
La première est mon accord total non seulement avec ta critique de la science classique, mais avec ta conception émergentiste qui va plus profond que ce que moi-même, vieil émergentiste, pensait puisque, et tu m’as convaincu : espace et temps, le monde lui-même, sont des émergences.

Le désaccord vient sur la source qui, pour toi, s’appelle « Intention ». Pour moi, c’est « Mystère ». Certes, je pense, comme les grecs, qu’il y a « chaos » à l’origine de « cosmos » et que « chaos » demeure dans « cosmos » d’où mon expression de « chaosmos », je pense aussi que, comme dans la Bible, il y a tohu bohu et qu’un tourbillon génésique singulier/pluriel, Elohim, est à l ’origine du monde. Mais la différence va au-delà. Tu es, comme Teilhard, un optimiste de la complexification alors que, pour moi, le monde est tragique dès l’origine : dès l’origine, la matière annihile l’antimatière, dès l’origine Dieu et le Diable sont les deux faces du même.

Moi, je ne peux croire en une conception qui ignore la tragédie du monde, la tragédie de la vie, la tragédie humaine. Cette tragédie est aussi constitutive de notre monde, elle est génésique et destructrice. Je reste héraclitéen intégriste : «lier ce qui unit et ce qui dissocie.»

Je pense que nous sommes infiniment plus proches qu’il ne te semble. Tu dis appeler Mystère ce que j’appelle Intention immanente ou Désir originel. Mais cette Intention et ce Désir ne sont pas premiers puisque leur source est Mystère. Si tu le veux bien, cette Intention ou ce Désir ne sont que les manifestations de ton Mystère. C’est entre ce Mystère et cette Intention que s’installe l’interface entre la Mystique et la Science : l’Intention n’est qu’un mot/concept pour fonder une cosmologie basée sur la tension interne (in-tension) qui est une différence de potentiel entre état réel et attracteur global.

C’est parce que ce sens du Mystère m’habite que je continue, en parallèle avec mes travaux scientifiques, d’étudier cette Kabbale qui nous relie.

Intention et désir sont des notions anthropologiques, et dans un sens, biologiques. Mais rien ne les justifie pour l’ensemble de l’univers où la part biologique et la part humaine sont d’après nos connaissances, extrêmement minoritaires. Dans ma vision donc, intention et désir sont des émergences de l’organisation vivante et de l’aventure humaine. Je ne peux les étendre rétroactivement à l’univers. À la rigueur je pourrais dire, compte tenu que l’anthropos contient en lui à sa façon singulière toute l’histoire du cosmos, qu’il y aurait quelque chose dans l’univers qui rend possible l’émergence de l’intention et du désir. Mais dans la conception «marchalevienne», le caractère originaire de l’intention et du désir, notions anthropomorphes, ressuscitent cet être suprême anthropomorphe qu’est Dieu le Père ou la thèse anthropomorphe du dessein intelligent. On ne peut réfuter cette thèse, mais on ne peut la prouver.

Qu’il y ait naissance de notre univers à partir d’un accident ou éruption énergétique du vide, ou bien à partir d’un autre type d’univers se métamorphosant, je ne vois que deux types d’émergences qui sont et seront constitutives de notre univers :

1 : Ordre et désordre ;
2 : Organisation et désorganisation.

Elles sont à la fois antagonistes et complémentaires. Antagonistes évidem- ment. Complémentaires parce que les interactions issues du couple ordre/ désordre produisent de l’organisation, laquelle elle-même va se désintégrer. Cela dit dans l’organisation, il y a un principe d’émergence et dès que surgit la vie, un principe de créativité.

Tu n’exclus pas le tragique, tu le marginalises. Moi je le mets au centre de tout constat, de tout regard, de toute réflexion sur notre univers, y compris et peut-être surtout vivant et humain. C’est pourquoi je dis que Dieu et le Diable sont le même.

J’ajoute qu’à ton hypothèse optimiste qui se maintient dans le désastre grâce à l’hypothèse de l’éternel retour, on peut opposer l’hypothèse pessimiste : tout cela finira très mal ou, plutôt, tout mourra, pas seulement notre soleil, mais tous les soleils... Moi je ne choisis pas entre ces deux hypothèses, je dis mon incertitude et mon ignorance.

En ce qui concerne le Mystère, il n’est pas seulement dans le fait qu’il y ait un monde plutôt que rien, dans sa naissance, dans son devenir, dans l’apparition et le développement de la vie, dans le sens de l ’aventure humaine, il est quoti- dien, je le vois dans le vol d ’un papillon, dans le sourire d ’une jeune fille, dans le fait que tout soit à la fois inséparable et séparé.

Quant au sens du Tragique, je ne l’exclus nullement, mais je n’y attache pas la même valeur dramatique que toi. Je ne suis pas un optimiste comme Pierre Teilhard de Chardin qui croit, à tout crin, en la réussite finale et inéluctable de l’avènement de son point Oméga : le « Christ cosmique ». Je sais parfaitement que la complexification « montante » est un phénomène local (dans les zones de haute activité de l’univers) qui se « paie » par une uniformisation entropique partout ailleurs. Je sais aussi que les constructions néguentropiques se forgent loin de l’équilibre et sont donc soumises à des pressions d’instabilité colossale qui fondent leur immense fragilité. Mais je sais aussi que « l’univers a le temps » puisque c’est lui-même qui l’engendre. Alors : échec ici ? Tant pis... ça recommencera ailleurs, plus tard. C’est l’Eternel Retour du même nietzschéen.

Donc, deux points de vue...
  • Dans le regard de Dieu (à l’échelle du cosmos et de l’éternité) : rien de tragique.
  • Dans le regard de l’homme : sa responsabilité dans la réussite de cette « expérience-ci » est énorme... et il est bien difficile, constatant la veulerie et le bêtise humaines, de parier sur ce succès espéré mais difficilement « espérable ».

Par contre, personnellement, j’adopte un tout autre regard, taoïste celui- ci (tu sais que j’étudie la philosophie du Tao depuis près de 40 ans) : ce n’est pas du résultat que vient la joie, c’est du cheminement. Que notre expérience noétique terrestre et humaine réussisse ou échoue, cela importe peu (c’est plus le problème de Dieu que celui des hommes). L’essentiel est de faire de cette « expérience », de ce cheminement, de cette tentative, une source infinie de joie – pour soi, et pour ce qui nous entoure –, afin de rendre la vie plus lumineuse et plus féconde, ici et maintenant... au moins pour ceux qui ont compris que le bonheur ne vient ni de l’avoir,ni de l’être (qui est d’abord du paraître),mais du devenir. Je connais ton humanisme et je sais combien mon aristocratisme pourra t’agacer, mais, face à la vie et à l’assomption de son destin propre par chacun, je ne crois pas que les hommes soient égaux... Hitler ou Staline ne « valent » pas Bach ou Einstein ou... notre Héraclite d’Ephèse.

La tragédie c’est la relation vie/mort où l’être vivant se nourrit de la mort (des végétaux, des animaux, de ses propres cellules) mais où la mort gagne à la fin. Le combat est désespéré, si l’on pense au terme, mais la vie comporte à la fois horreur et bonheur, monstruosités et merveilles. En ce qui me concerne, je puise dans mes émerveillements et mes bonheurs la force de résister à l’horreur et au mal. On peut vivre de façon tonique dans la tragédie, cela exclut seulement l’illusion d’une happy end, ou encore d’un progrès indéfini ou infini. A lire ton messia-optimiste, j’ai envie de te rappeler le Candide de Voltaire qui met en doute que nous vivions dans le meilleur des mondes. Mais, au-delà de Voltaire, je pense que peut-être le pire des mondes et le meilleur se confondent.

En un mot, ma différence avec toi, ce n’est pas seulement l’Omniprésence du Mystère, c’est le sentiment permanent des insurmontables contradictions auxquelles arrive l’esprit humain dès qu’il atteint un problème un peu profond, dès qu’il questionne l’Univers.

Edgar Morin.