Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Généralisation du second principe de la thermodynamique.

La complexité est possible au-delà de la maximisation de l'entropie

Le problème.

 

Le second principe de la thermodynamique affirme que l'entropie a partout tendance à se maximaliser et donc à imposer de l'uniformité, de l'homogénéité. L'entropie se pose donc comme adversaire universel de la complexité. Or, dans les galaxies et plus particulièrement sur certaines planètes comme la Terre, la complexité est bien établie et ne fait que croître au fil de l'évolution.

Il y a donc contradiction flagrante. Si le second principe de la thermodynamique était d'application partout, depuis toujours, jamais et nulle part la complexité n'aurait pu émerger et l'univers ne serait qu'un grand désert stérile et vide.

 

En revanche, le second principe tel que l'a formulé le 19ème siècle (Carnot, Clausius, Boltzmann) s'applique effectivement dans beaucoup de systèmes relevant de la mécanique classique (donc au niveau le plus bas de l'échelle des complexités).

 

L'espace des états.

 

La science représente l'état de n'importe quel système (y compris de l'univers pris comme un tout) dans un espace des états aux multiples dimensions. Cet espace des états est composé de trois domaines complémentaires.

 

Le domaine topologique (du grec topos : "lieu, localisation") concerne la description des distances, des volumes, des masses et de leurs répartitions ; il est le terrain des influences gravitationnelles et a été étudié par la théorie de la relativité générale. La grandeur d'état que nous retiendrons ici est la densité D qui établit la quantité de matière par unité de volume (donc la distance moyenne entre les composants matériels dans l'espace géométrique).

 

Le domaine eidétique (du grec eidos : "forme, organisation") concerne les structures, les organisations, les configurations, les interrelations entre les composants matériels ; il est le terrain des influences électronucléaires et a été étudié par les théories quantiques. La grandeur d'état que nous retiendrons ici est l'entropie S qui établit le niveau de complexité des constructions unissant les composants matériels.

 

Le domaine dynamique (du grec dynamis : "capacité, force, puissance") concerne les évolutions, les mouvements, les transformations, la vivacité et le travail des ensembles matériels dans le temps ; il est le terrain des processus d'optimalité des évolutions et a été étudié par les théories thermodynamiques. La grandeur d'état que nous retiendrons ici est l'activité A qui se mesure en termes d'énergie et qui établit le niveau de vitalité des systèmes par unité de durée.

 

Nous voici en possession de trois grandeurs d'état synthétiques : la densité D, l'entropie S et l'activité A. Ce ternaire se retrouve un peu partout en physique. Notamment, à l'état le plus élémentaire, dans l'équation fondamentale de Newton :  où l'accélération est topologique, où la masse est eidétique et où la force est dynamique.

 

La notion de propension.

 

On définira la propension comme le rapport entre la variation d'une grandeur quelconque et cette grandeur elle-même :

 

 

 

La propension mesure l'intensité d'une tendance ; elle sera d'autant plus grande que la variation sera grande par rapport à ce qui varie ; elle sera donc d'autant plus grande que l'on sera loin de l'équilibre statique.

 

L'intérêt de travailler avec des propensions est que celles-ci sont des nombres sans dimension donc complètement indépendants des unités de mesure que l'on voudrait utiliser.

 

La généralisation du second principe.

 

Le second principe de la thermodynamique, dans son acception classique revient à formuler la maximisation de l'entropie, autrement dit :

 

ou, ce qui revient au même :

 

 (1)

 

Selon la thermodynamique classique, l'évolution idéale d'un système vise donc une propension entropique nulle. Mais nous avons relevé, en introduction au présent article, que ce principe n'est vrai que pour les systèmes mécaniques au niveau le plus bas de complexité.

Pour les systèmes complexes, il faut donc généraliser ce second principe.

 

Nous proposons d'introduire une grandeur d'état synthétique : X=S.A.D et de poser la formulation suivante, analogue à l'équation (1) :

 

 (2)

 

On voit immédiatement que pour les systèmes dont l'activité dynamique et la densité topologique est constante (ce qui est vrai, au moins, pour les systèmes conservatifs ou à l'équilibre), cette dernière équation (2) se réduit à l'équation (1) qui est l'ancien second principe de la thermodynamique.

En revanche, lorsque cette activité et cette densité augmentent, l'équation (2) implique une diminution compensatoire de l'entropie, donc une complexification organisationnelle du système étudié.

 

Cette équation (2) est bien une généralisation, aux systèmes et processus complexes, du second principe de la thermodynamique.

Il tient compte, sur un pied d'égalité, des trois domaines de l'espace des états et non d'un seul (le domaine eidétique), comme c'était le cas classiquement.

 

Le principe de dissipation optimale des tensions.

 

On comprend, au travers de l'équation (2) que les trois propensions sont antagoniques : selon la positivité ou la négativité de l'une ou l'autre d'entre elles, des tensions apparaîtront entre ces trois pôles d'évolution du fait de l'existence de cette corrélation qui existe entre eux (cfr. équation (2)).

 

Le grand principe général mis en exergue par mon maître et mentor, Ilya Prigogine (prix Nobel 1977) est celui-ci : dans un système multipolaire, le moteur de l'évolution (le "flèche du temps", donc) est la nécessité de dissiper les tensions de la manière la plus optimale (donc la plus efficace) possible.

 

La trajectoire du système dans l'espace des états résulte donc de ce principe de dissipation optimale des tensions entre les trois pôles topologique (le densité matérielle), dynamique (l'activité locale) et eidétique le niveau de complexité (l'entropie ambiante).

 

Les scénarii d'évolution.

 

Nous sommes ainsi en possession de trois propensions (et non plus d'une seule) dont les combinaisons révèlent la richesse des configurations complexes possibles (et des tensions à dissiper)

.

En effet, chacune de ces trois propensions peut être positive, nulle ou négative, à la condition expresse que leur somme soit toujours nulle.

 

 

     

Commentaire

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Activation et dilution sur le même niveau de complexité

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Désactivation et concentration sur le même niveau de complexité

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0

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Uniformisation et dilution à activité constante

4

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0

+

Complexification et concentration à activité constante

5

+

-

0

Uniformisation et désactivation à densité constante

6

-

+

0

Complexification et activation à densité constante

7

0

0

0

Equilibre parfait et peut-être stable

8

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+

+

Activation et densification mais uniformisantes

9

+

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Uniformisation et densification mais désactivation

10

+

+

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Uniformisation et activation mais dilution

11

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-

+

Complexification et inactivation mais densification

12

-

+

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Complexification et dilution mais activation

13

+

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Processus entropique de mort thermique (le cas classique)

 

Cela donne 13 combinaisons possibles : il y a 15 combinaisons envisageables dont deux sont physiquement impossibles : (+ + +) et (- - -) du fait de l'équation (2).

 

Si l'on veut bien admettre qu'une propension nulle est un cas limite, marginal et rare, souvent peu stable, il nous reste six scénarii répartis en deux catégories : les scénarii entropiques et les scénarii néguentropiques (qui contreviennent à la formulation classique du second principe de la thermodynamique).

 

Les scénarii entropiques :

 

 

     

Commentaire

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Uniformisation avec densification et désactivation

2

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Uniformisation avec activation et dilution

3

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Processus entropique de mort thermique (le cas classique)

 

Le troisième de ces trois scénarii est le plus connu de la thermodynamique classique : l'effondrement entropique qui conduit à la mort thermique. Le système se désactive (meurt, donc), se désagrège et se dilue dans son milieu (c'est le cas typique de la mort humaine et de la décomposition du cadavre).

 

Les deux scénarii restants sont hybrides. La production d'entropie (d'uniformité ou d'homogénéité) y est plus faible puisqu'accompagnée par une diminution soit de l'activité ambiante (scénario 1 : une avalanche, par exemple, qui concentre la neige dans la vallée, mais désamorce la formation de névés et de glaciers), soit de la densité matérielle (scénario 2 : une explosion, par exemple, qui disperse les constituants du fait d'une grosse activité au bénéfice de la totale destruction du système), .

 

Les scénarii néguentropiques :

 

 

     

Commentaire

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Complexification avec inactivation et densification

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Complexification avec dilution et activation

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Complexification avec activation et densification

 

Le troisième de ces trois scénarii est le plus intéressant puisqu'il fait émerger de la complexité par la conjonction d'une activité croissante ET d'une densification croissante.

C'est typiquement le cas lors de la production de nucléons dans le cœurs de galaxie (les "trous noirs"), lors de la production d'atomes lourds dans le cœur des étoiles, de la production de cristaux et de molécules dans la croûte des planètes, de la production de cellules d'abord procaryotes, puis eucaryotes, dans les failles volcaniques des océans, de la production d'organismes pluricellulaires à partir de colonies dans les eaux marines chaudes, etc …

 

Les deux autres scénarii engendrent de l'organisation, mais bien moins que dans ce troisième scénario.

Dans le premier cas (scénario 1), la complexité est purement due à la densification du système dont les constituants se rapprochent les uns des autres, mais l'activité y reste de plus en plus en berne ; c'est la cas, par exemple, d'un tas de sable qui prend sa forme conique.

Dans le second cas (scénario 2), la complexité est purement due à l'activation du système dont les constituants interagissent plus les uns des autres, mais la densité matérielle s'y étiole et le système s'éparpille ; c'est la cas, par exemple, d'un mouvement de panique (et d'entraide éphémère et souvent inefficace) entre des humains pris dans un immeuble en flammes qui ne cherchent qu'à fuir et à se disperser.

On le comprend : ces deux scénarii hybrides correspondent à des processus éphémères.

 

Conclusion.

 

On comprend, donc, qu'il y aura deux grands scénarii "forts" et durables ; le classique scénario de "mort thermique" et celui de la production de complexité à la fois par densification et activation. Tous les autres scénarii sont plus de circonstance que de fond.

 

Un question demeure, cependant. Pourquoi, dans notre univers, y a-t-il une telle dissymétrie entre ces deux scénarii ? Le scénario du "vide" intergalactique (entropique, inactif et dilutif) occupe, en effet, plus de 99% de la réalité.

Pourquoi cette dissymétrie ?

 

L'explication en est toute simple. L'univers évolue dans une tension entre la force gravitationnelle et la force expansive. Celle-ci s'applique à une "substance" spatiotemporelle ayant peu d'inertie alors que la force gravitationnelle s'applique à la "substance" matérielle ayant de l'inertie, c'est-à-dire une capacité de résistance aux influences extérieures.

Cela signifie que la dilution expansive peut aller bien plus vite que la concentration gravifique, avec, pour conséquence, que l'océan de l'entropique "vide" intergalactique s'étend bien plus vite que les néguentropiques archipels galactiques.

Ainsi, les foyers de complexification sont de plus en plus dispersés dans un milieu entropique croissant.

 

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