Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

La fin du christianisme ?

En suite du phénomène "Décadence", enclenché par Michel Onfray …

Sans trancher abruptement, comme le fait Michel Onfray, quant à la nature ou bien totalement historique, ou bien totalement symbolique des récits évangéliques, force est d'admettre que, s'il existe probablement quelques infimes germes historiques - l'existence d'un agitateur pharisien dissident (un peu essénien, un peu zélote) nommé Jésus, et son exécution en crucifié par les Romains -, la masse de ces récits est purement symbolique, née dans l'imaginaire névrosé de Paul de Tarse et développée pendant plus de deux siècles par les sectateurs et zélateurs de celui-ci, en de multiples écrits dont certains ont été désignés plus tard comme canoniques.

De plus, la grande majorité des épisodes prêtés par les Évangiles à la vie de Jésus, sont des copiés et collés, souvent mot à mot, de textes, bien antérieurs, de la Bible hébraïque que l'on a rassemblés ad hoc pour accréditer une thèse fabriquée de toutes pièces a posteriori : le Jésus des Évangiles est bien le "Messager", le "Sauveur" ou le "Messie" (le "Christ" en grec) annoncé par certains livres de la Bible hébraïque. La "biographie" de Jésus a été écrite en vertu et au service de cette thèse ; elle n'a rien d'historique.

L'homme Jésus fut un prétexte insignifiant pour la réinvention du Christ, mais hors du Judaïsme, à l'usage des "Gentils" endoctrinés par Paul de Tarse.

Mutatis mutandis, presque la totalité des récits "chronographiques" de la Bible hébraïque et les multiples fables et légendes qui façonnent le Coran ou la Bhagavad Gîta ou le Tchouang-Tseu, … sont purement fictifs, imaginaires et allégoriques. Cela ne change rien quant à la portée spirituelle de ces écrits, ni quant à leur importance traditionnelle pour les communautés qui s'y reconnaissent et qui s'y fondent.

La tragédie et le délire commencent lorsque des forcenés débiles proclament la totale historicité de ces récits pourtant si évidemment falsifiables (au sens de Popper).

Le christianisme, comme tous les processus complexes, est passé par un ensemble de phases successives de vie, fidèlement au modèle de la "courbe de vie". Le cycle chrétien couvre trois cycles paradigmatiques (le haut moyen-âge, la féodalité et la modernité) de 550 ans chacun, en moyenne.

  • Le germe : la période légendaire de Jésus et ses apôtres, sur laquelle on ne sait rien (et sur laquelle il y a bien peu à connaître … puisque c'est Paul de Tarse qui invente le christianisme et qui provoque les écrits néotestamentaires).
  • La naissance : la période évangéliste qui commence avec Paul (et ses "Epîtres") et qui produit tous les écrits évangéliques dont bien peu seront reconnus "canoniques" avec le temps.
  • La croissance : la période patristique qui couvre le haut moyen-âge (325-843), en démarrant avec Augustin d'Hippone et le concile de Nicée, et qui est la période théologique la plus foisonnante avec deux moments : la patristique grecque, extraordinaire, et la patristique latine, de moindre intérêt.
  • L'apogée : la période scholastique ou ecclésiastique du bas moyen-âge (843-1453) qui voit l'institutionnalisation de l'orthodoxie et du catholicisme césaro-papiste (qui est dissident et hérétique face à l'orthodoxie, ne l'oublions pas), et qui culmine, du côté catholique, avec Thomas d'Aquin.
  • Le déclin : la période moderne qui, avec la Renaissance, voit naître l'Inquisition catholique, les Réformes protestantes, la Contre-réforme débilitante catholique, la percée des grands mystiques, la montée des critiques et des doutes,  l'aggiornamento raté de Vatican II, et le triomphe progressif, au fil des 19ème et 20ème siècles, du matérialisme, de l'athéisme, de l'anticléricalisme, du laïcisme, etc …
  • La mort : la période que nous vivons aujourd'hui.

La question qui se pose aujourd'hui est celle de l'éventuelle émergence d'un néo-christianisme qui prendrait le relais du vétéro-christianisme. Des penseurs mystiques comme Joachim de Flore avaient pressenti la fin de l'Eglise du Fils et le passage à l'Eglise de l'Esprit. Il est clair que des germes d'un néo-christianisme ont été semés par Pierre Teilhard de Chardin, Emmanuel Mounier, Hans Küng ou d'autres …

Le scénario le plus probable, me semble-t-il, est l'extinction définitive du christianisme proprement dit et l'émergence d'une nouvelle spiritualité areligieuse (incluant, pourquoi pas, une part de néo-christianisme), probablement plus syncrétiste, orientalisante, panenthéiste, adogmatique et très intériorisée, dans une ligne New-age "rectifiée".

 

Annexes

Aux sources de la judéophobie.

Les Juifs sont et restent le vrai grand problème des Chrétiens, depuis le tout début, depuis les Epîtres de Paul (notamment aux Thessaloniciens).

Pourquoi ? Parce qu'il est impossible de légitimer la spoliation radicale de l'héritage spirituel juif par des non-Juifs qui s'en prétendent, a posteriori, les légitimes propriétaires.

De là, cette judéophobie qui, selon les époques, s'exprime comme antijudaïsme (religieux et cultuel), comme antisémitisme (ethnique et culturel) ou comme antisionisme (politique et idéologique).

Il en va des Musulmans comme des Chrétiens : le Coran sait parfaitement tout ce qu'il doit à la révélation mosaïque (Abraham, Agar et Ismaël, le monothéisme, les interdits alimentaires, le rejet des idolâtries, le prophétisme, le messianisme, les archanges dont Gabriel, …) et il ne peut viscéralement pas l'accepter. Il dénie alors, au Juif, tout droit à son propre héritage, y compris la Terre promise de Judée et la place centrale de Jérusalem (revendiquée comme "lieu saint" par l'Islam, au nom d'un "voyage" onirique fait par le Prophète, selon le Coran … on croit rêver).

La judéophobie est consubstantielle au christianisme et, par conséquent, à son succédané arabe qu'est l'islamisme et à son héritier moderne qu'est le socialisme (national ou non).

Aux sources chrétiennes.

Il me paraît assez évident que les trois Evangiles synoptiques - et les Actes des Apôtres qui les prolongent - sont des écrits de propagande paulinienne. En revanche, l'Evangile dit de Jean - et non le livre de l'Apocalypse qu'on lui attribue, qui est un texte juif ancien, préchrétien, remis à la sauce chrétienne - est d'une autre nature ; beaucoup plus tardif, il propage un johannisme grec beaucoup plus ésotérique et philosophique que les récits synoptiques qui forment les strates d'une même surenchère : Marc, puis Matthieu, puis Luc et les Actes.

L'Evangile de Jean, "aigle de Patmos", outre l'antijudaïsme forcené qu'il professe, appelle des concepts abstraits et fonde une christologie mystique qui pointe déjà vers l'esprit orthodoxe, alors que les synoptiques, plus exotériques et "édifiants", seront mieux accueillis par le catholicisme.

Marc Halévy, janvier 2017.