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Epître aux Romains - Paul de Tarse. Notes de lecture

Analyse. La thème premier et obsessionnel de Paul, c'est la Salut qui est, en fait, la délivrance de la mort et de l'angoisse de la mort. L'après-mort, là-bas et plus tard, passe bien avant la vie, ici et maintenant.

Pour lui, les païens sont radicalement immoraux et ont choisi l'impureté (la notion de pureté est centrale) qu'ils manifestent dans leur prédilection pour la sodomie avec leur femme et l'homosexualité avec des hommes.

Paul est terrorisé par la sexualité et est obsédé par la fornication anale "contre-nature".

Sa grande vocation est d'abolir la distinction entre Juifs et Gentils par le Christ Jésus … et il s'étend donc sur la notion de circoncision en distinguant la circoncision physique qui n'est qu'un signe extérieur (appartenant aux Juifs) et la circoncision spirituelle qui est une posture intérieure (appartenant à tous les fidèles, juifs ou non).

La circoncision fait problème pour Paul sans doute du fait de son horreur de la sexualité[1].

Un thème second, lui aussi obsessionnel, est celui du Jugement : qui juge qui ? avec et de quel droit ? selon quelle loi ? avec quelle moralité ? Les hommes ne peuvent se juger entre eux puisqu'il ne peut y avoir qu'un seul juge impartial et juste : Dieu lui-même. Cela dédouane Paul des jugements portés sur lui par l'Eglise de Jacques, c'est-à-dire par la secte originelle des judéo-chrétiens.

Le grand principe qui gouverne toute la pensée de Paul, c'est que, par essence et originellement, tous les hommes sont coupables. Cette culpabilité foncière et native alimentera l'invention majeure d'Augustin d'Hippone : le péché originel (qui, très vite, dans un esprit très paulinien, sera assimilé à la sexualité et au "péché de la chair").

Tous les hommes sont coupables, mais le Salut est possible à ceux qui ont la Foi, grâce à la rédemption opérée par le Christ Jésus qui rouvre les portes de la Pureté.

Ce ne sont pas les actes qui sauvent, mais la Foi seule, sans le secours de la Loi (la Torah) : la Foi surpasse la Loi (le processus de déjudaïsation du message évangélique du Juif Jésus et de ses apôtres juifs est donc en route ; ce processus n'aurait jamais pu triompher s'il n'y a avait eu la catastrophe de 70 : la destruction de Jérusalem et du Temple, la disparition des Sadducéens lévitiques et l'expulsion des Juifs en diaspora).

La Foi (Abraham) précède la Loi (Moïse). Mais aussi : la Foi, chez Abraham, précède sa circoncision qui vient la sceller après coup.

Malgré que le texte hébreu soit loin d'exprimer cela, Paul prend à la lettre le récit qu'on lui a fait de la Genèse : c'est le "péché" du premier homme qui a entraîné la malédiction divine et qui a ouvert le monde à la mort. Il faut donc, pour regagner la vie éternelle d'avant le péché, que ce péché et tous ceux qui en découlent, soient effacés. C'est tout l'objet de la rédemption par le Christ Jésus. Puisque la faute d'Adam a pesé sur tous les hommes, le don de Jésus bénéficie à tous les hommes aussi. Il faut se libérer du péché et du corps ; c'est désormais possible par la mort du vieil homme sur la croix et par la résurrection dans le baptême de l'homme nouveau.

Troisième thème obsessionnel de Paul : le Péché. Et le siège du péché : le corps, le meilleur ennemi de Paul.

Paul fait très fort : la Loi est un amplificateur du Péché car si la Loi n'interdisait pas certains actes, l'homme ne saurait pas que ces actes sont mauvais et, donc, il ne les ferait pas. Mais avec le Christ Jésus, la Foi surpasse la Loi et la Loi ne peut plus entraîner l'homme baptisé vers la Mal.

Avec Paul, le Péché est personnifié : il devient un être indépendant qui séduit l'âme au travers des mots de la Loi et par le truchement de la chair et du corps. Puisque l'homme est coupable de tout, il est incapable de suivre la Loi et en prend le contrepied, séduit par le Péché.

"Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ?"

Vivre dans le Christ Jésus, c'est échapper à toute condamnation et à toute mort (deux des obsessions existentielles de Paul). Bien plus tard, la mouvance paulinienne, dans un de ses Evangiles écrits sur mesure, fera dire à Jésus :  "Je suis la Vie". Mais cette Vie est une vie en Esprit dans le refus obstiné et obsessionnel de la Chair : le Christ s'est incarné, mais s'est bien vite libéré de la Chair par sa mort et sa résurrection, libération qui est son message central à l'adresse de tous les chrétiens invités à l'imiter. Ce dualisme essentiel entre l'Esprit et la Chair est le quatrième thème obsessionnel de Paul ; il prolonge celui du Péché.

Il y a, chez Paul, une aperception tragique et pessimiste de la vie qui, à l'instar du bouddhisme, ne voit le monde réel que sous l'angle de la souffrance (Paul parle de "gémissements").

Paul croit en la prédestination : Dieu a désigné ses "élus par grâce" (dont Paul, bien entendu) dès l'aube des temps. Ceux-là seuls seront sauvés. Donc, Paul pense que Dieu aurait décidé qui communierait avec son Fils pour être sauvé, et donc qui serait un vrai chrétien.

Dans cette lignée, l'antijudaïsme de Paul s'exprime à plein : les Juifs n'ont pas reçu le Christ Jésus et, au nom de leur Loi, ils ont refusé la Foi qui sauve. Se déclarant juif "par la chair" ("de la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin"), Paul se dit morfondu par ce refus. Être juste, c'est avoir la Foi, c'est être "justifié" (être rendu juste) et la Justice de Dieu se confond avec la condamnation à la mort éternelle de tous ceux qui ne sont pas "justifiés".

Il serait donc juste que les Juifs soient condamnés à la mort éternelle. La grande référence biblique de Paul est, bien sûr, le prophète Isaïe (Ysha'yahou) que les évangélistes pauliniens ont allègrement pillé pour montrer et "prouver" que le Christ Jésus est l'accomplissement de sa prophétie : la "vie de Jésus" a été largement inventée pour "coller" aux prophéties d'Isaïe (le moins juif de tous les prophètes juifs). Selon Paul, la chrétienté est un olivier dont les racine sont juives, mais qui prospère grâce aux greffons païens (cette position sera combattue par l'hérésiarque Marcion qui fait du christianisme un mouvement totalement indépendant du judaïsme : la Foi chrétienne ne doit rien à la Loi juive. Au nom de Paul, cette hérésie a été condamnée).

Paul énumère un certain nombre de vertus chrétiennes : Joie dans l'espérance du Salut, Charité (commisération et paix) envers tous les hommes, Obéissance civile, l'Amour d'autrui (comme nouvelle Loi) et, spécialement, des "faibles" (à ce titre, Nietzsche a qualifié le christianisme de morale de la pitié, de morale pour esclaves), Abstinence de tout ce qui "fait buter ou tomber ou faiblir", et Accueil de l'autre.

"Le règne de Dieu (…) est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint".

Paul croit en l'imminence de la fin des temps, de l'issue eschatologique, du Jugement dernier. On ne comprend rien aux premiers chrétiens si l'on ne saisit pas cette croyance en l'urgence du Salut (puisque le monde est au bord de l'effondrement, il est inutile de penser une "théorie" chrétienne, de codifier des dogmes, d'écrire des Evangiles, de théologiser … la Foi seule suffit).

Cette promesse eschatologique imminente ne s'étant pas réalisée, le traumatisme spirituel de la chrétienté naissante fut colossal. Il fallut tout revoir, tout réinterpréter. On peut voir là une des causes (avec la destruction de la Maison d'Israël par les légions romaines en 70) de l'effondrement des judéo-chrétiens de l'Eglise de Jacques, frère de Jésus. Il a fallu, alors, "relancer" le christianisme et c'est, selon moi, là le moteur de la rédaction de l'Evangile, à partir de 70, par Marc d'abord, augmenté par Matthieu (vers 80) et parachevé par Luc (entre 90 et 100). L'Evangile de Jean, venu bien plus tard, dans le cours du 2ème siècle, poursuivait un autre but : réconcilier les pauliniens grecs et les gnostiques alexandrins (d'où ses profondes divergences d'avec les synoptiques).

Paul termine son Epitre par une époustouflante auto-apologie ; il s'institue lui-même "apôtre et ministre des païens", investit par le Christ Jésus d'une mission pastorale éminente.

Commentaires.

Paul invente de toutes pièces une phraséologie typique qui imprègne encore toute la théologie catholique. Le protestantisme l'a modernisée et enrichie, et l'orthodoxie l'a reléguée au profit de celle des cappadociens.

Du point de vue de sa psychologie (et cela a été démontré et glosé à maintes reprises), Paul est un névropathe, habité, tout à la fois, par une phobie du corps et de la sexualité, d'une part, et par une phobie du jugement des autres, d'autre part. Ces deux phobies procèdent d'une même mégalomanie qui ne peut accepter ni ses faiblesses physiques et sexuelles, ni son rejet par l'Eglise de Jacques, frère de Jésus.

Du point de vue de sa philosophie, Paul procède d'un dualisme plus radical encore que celui de Platon : il y a le monde de l'Esprit qui est le monde de la Perfection, de Dieu et du Salut, et il y a le monde de la Chair qui est le monde de la Vie, de la Corporéité et du Péché.

Le but unique de l'existence est de préparer, par les voies de la Sainteté, c'est-à-dire de la communion en Esprit avec le Christ Jésus, son accès, post mortem, à la "vraie vie" qui est éternelle et libérée de la Chair, de la matière et du Péché.

Deux "équations" résument tout Paul :

  • Esprit = Dieu = Christ = Foi = Pureté = Salut
  • Chair = Matière = Satan = Loi = Impureté = Péché

Il est vital, selon Paul, de passer de l'équation du bas à l'équation du haut. C'est là tout l'enjeu de la religion chrétienne.

Entre ces deux équations, se placent le travail de Sainteté, la Grâce divine, les Vertus chrétiennes et le seul Jugement qui vaille : celui de Dieu à la fin des temps.

Tout le christianisme catholique et, souvent, protestant (mais non orthodoxe) est construit sur cette métaphysique dualiste qui refuse, dénigre et condamne le monde réel de la Vie cosmique au profit d'un monde imaginaire de la Perfection divine.

Cette philosophie et cette théologie sont tout simplement effrayantes !

Marc Halévy, 27 juin 2017

[1] On peut aussi se demander si Paul était bien circoncis ou, s'il l'était, s'il n'en avait pas honte.